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Portrait : Niki de Saint Phalle ou l'art d'exorciser

Clitti de Saint-Phalle

          Qui a déjà vu les Nanas, ces femmes colorées aux formes généreuses, qu'on retrouve dans la fontaine Stravinski du Centre Pompidou à Paris ? Beaucoup les connaissent, mais peu de gens savent le nom de l'artiste qui les a modelées. Il s'agit de Niki de Saint Phalle, une artiste qui a trouvé dans l'art une manière de se reconstruire et de communiquer avec le monde.

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Niki de Saint Phalle (1930-2002) est une artiste plasticienne franco-américaine que l'on classe dans le mouvement du Nouveau Réalisme. On peut aussi la rapprocher de l'Art Brut car elle est autodidacte et que son premier contact avec l'art survient au cours d'un épisode de folie.

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Cette folie a été nourrie de grandes violences sexistes qui ont eu lieu dans sa jeunesse et qu'elle va exprimer dans ses œuvres : l'inégalité fille-garçon qu'elle éprouve pendant son enfance, et surtout le viol de son père à 11 ans (souvent représenté dans ses œuvres par des serpents).

En 1953, alors installée en France, mariée et mère de deux enfants, elle est victime d'une grave dépression nerveuse et finit à l’hôpital psychiatrique. Pendant ce séjour, elle ressent un vif besoin de peindre et c'est à travers cette activité qu'elle guérit de sa folie. Elle comprend ainsi qu'elle entretient une relation vitale à l'art et qu'elle doit y consacrer sa vie. Elle quitte alors son rôle de femme au foyer dans le sud, pour trouver à Paris un espace à elle et se dédier pleinement à l'art. La-bas, elle rencontre puis épouse Jean Tinguely avec lequel elle collabore à plusieurs reprises. Pendant longtemps, elle vit dans l'ombre artistique de Tinguely. Jusque dans les années 2000, des critiques d'art attribuaient encore  certaines de ses œuvres à celui-ci.

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Niki de Saint Phalle était plasticienne. Elle touchait à tout : peinture, collage, compositions à base plâtre et d'objets issus de la société de consommation, sculpture. Autant de moyens pour exprimer sa colère et la violence du monde. Avec la performance Tirs (1960), qui consistait à tirer à la carabine (ou à faire tirer les autres) sur des assemblages de plâtre pour faire exploser des poches de peinture, elle cherche d'abord à se libérer de la relation avec son premier époux. La performance fait le tour du monde et lui offre un espace d'expression tel, qu'elle la remanie à souhait et en étend la cible : la politique, la religion, le patriarcat, l'Histoire, etc. Tout y passe. A force, elle développe une dépendance à cette performance qu'elle ne supporte plus, et se met à la recherche d'autre chose.

Elle donne alors naissance aux "Nanas", qui deviennent omniprésentes dans son œuvre. Les Nanas sont d'abord des compositions : des femmes imposantes de grandeur, très puissantes, parfois souillées ou macabres, couvertes de poupons en plastiques, parfois en train d'enfanter. Au fil de ses essais, les Nanas évoluent et finissent par se stabiliser dans la matière. De la résine et du polyester, naissent de sculptures de Nanas complètement émancipées : immenses, aux formes généreuses, aux vêtements et aux peaux colorées, joyeuses et libres de leurs mouvements. Pendant longtemps, ces œuvres sont incomprises : elles font peur au public et suscitent des polémiques.

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Les dernières versions des Nanas préfigurent un univers que l'artiste cherche à transmettre au monde (notamment aux enfants) dans sa dernière grande œuvre : le jardin des Tarots (Toscane) inspiré du Parc Güell de Gaudi (Barcelone) et des cartes du Tarot divinatoire de Marseille. Elle imagine un jardin remplit d'allées, de sculptures immenses, de mosaïques, de couleurs et de fontaines.

Pour mener à bien ce vaste projet (estimé à 4 millions d'euros) et garantir son indépendance artistique, elle décide de s'autofinancer en vendant des produits dérivés de ses œuvres. Pendant treize ans jusqu'à l'ouverture du jardin, elle se choisit pour maison la sculpture de l'Impératrice (l'arcane III du tarot de Marseille) et dédie celle de la Tempérance (l'arcane XIV) à son mari Jean Tinguely, disparu en 1991.

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En 1998, alors âgée de 64 ans, elle fait son #meetoo. Dans le livre Le Secret illustré par ses soins, elle libère sa parole et dénonce le viol commis par son père. 

En 2002, l'art qui était son énergie de vie finit par avoir raison d'elle. Elle succombe d'une insuffisance respiratoire chronique liée à la poussière de polyester, la matière qu'elle utilisait pour ses sculptures.

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Pour aller plus loin :

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