Le Klit main-libre :
et la masturbation, on en parle ?

"La masturbation, c'est tabou, on en viendra tous à bout !". Et bien oui, c'est malheureusement un peu ça... surtout si elle pratiquée par les personnes qui ont une vulve. L'origine de ce tabou est vieux et ses racines sont si profondes et variées qu'il est difficile de les restituer (normes sociales, injonctions sexuelles, science, religion, etc.). Mais en voici quelques-une.
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Pourquoi quand on a une vulve, se donner des plaisirs solos, c'est mal ? D'où vient cette idée ? De la sexualité d'abord. Dans notre société, la sexualité est depuis longtemps centrée sur les hommes cis, et leur pénis. Dans les rapports hétéros, il est admis que les préliminaires préparent la femme à la pénétration et souvent, le rapport sexuel prend fin une fois que l'homme a éjaculé. Tout se passe comme si le corps de Madame servait d'instrument pour le plaisir de Monsieur. Ainsi, une femme cis qui prend du plaisir toute seule, ça peut gêner nombre d'hommes cis (pas tous, heureusement!).
Ensuite, la psychologie ne nous a pas laissé un bel héritage. Des études* prouvent que jusqu'au XXe siècle en France, la masturbation des personnes à vulves était vue comme pathologique. Elles étaient bâillonnées pour ne pas pouvoir se toucher, voire dans certains cas excisées (oui oui au XXe siècle...). Notre cher ami Freud a un peu décoincé le bazar en investissant la sexualité et en associant les névroses de ses patientes à la frustration sexuelle. Néanmoins, il a aussi véhiculé l'idée que se caresser la partie externe du clitoris, c'était digne d'une sexualité de petite fille, et que pour grandir il fallait passer à la pénétration. De quoi bien réduire les possibilités, et ramener encore le plaisir au pénis.
Et puis bien sûr il y l'éducation. Les enfants peuvent découvrir le plaisir très tôt et se masturber. Le problème, c'est qu'ils ne connaissent pas forcément encore la notion d'intimité. Alors ils ont tendance à le faire devant les autres ou avec les autres (ce qui n'est pas très grave, si tout le monde est consentent). Lorsqu'un adulte les découvre, il arrive souvent qu'il réagisse mal - par gêne, par honte, ou par dégoût, les raisons peuvent être variées et pas forcément mal intentionnées. Les "on ne fait pas ça", "c'est pas bien", c'est sale" constituent autant de réactions qui peuvent entrainer des blocages une fois adulte. Alors qu'il suffirait simplement de leur apprendre les notions d'intimité et de consentement.
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Tentons de nous ôter ces idées de la tête : la masturbation c'est sain ! tant qu'elle est désirée, consentie et non compulsive (du genre, tout le temps et en mode pétage de boulon si elle est impossible).
Se donner des plaisirs solos, c'est d'abord un moyen de découvrir son corps, ses fantasmes et les pratiques et les endroits de notre corps qui contribuent à notre plaisir. Quand elle est pratiquée très tôt, elle permet parfois de trouver des manières d'atteindre le plaisir par des moyens qu'on n'évoque jamais dans les cadres habituels (films, livres ou porno mainstreams). Demande à tes potes clits, tu pourrais découvrir des méthodes surprenantes !
La masturbation peut également être pratiquée à deux. Ça peut être très excitant pour l'autre et lui être aussi très instructif puisque c'est un moyen de montrer les caresses et les pratiques qu'on aime sans avoir recours à la parole. Enfin, pour rappel, nous ne sommes pas des poulpes à huit bras ! Se caresser ou utiliser un sextoy en plus des gestes de l'autre, c'est une façon de stimuler en même temps toutes les zones érogènes du corps qui participent à ton plaisir.
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Pour finir, deux remarques. Premièrement, la masturbation ne doit pas être vue comme une obligation. Il existe des personnes qui ne ressentent aucun désir sexuel ("asexuelles") et il ne s'agit en aucun cas de les pousser à cette pratique si elles n'en ressentent pas le besoin. Les informations précédentes sont utiles dans le cas où tu te sentirais bloqué.e et frustré.e par ce blocage.
Deuxièmement, attention à ne pas se perdre dans la marée de sextoys. Si le sextoy peut être utile dans certains cas pour explorer son plaisir, il faut aussi bien garder en tête qu'avec le moment féministe que nous vivons, les entreprises qui les produisent ont tout simplement compris qu'il y avait un marché à prendre : celui des personnes à vulves. Donc ne te ruines pas dans des sextoys très chers quand tu peux très bien utiliser tes mains et fais attention aux influenceurs et influenceuses sur les réseaux sociaux dont chaque post sur la sexualité est l'occasion de te vendre quelque chose.
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Pour aller plus loin
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Le post Instagram des ChroniQues de la sexualité sur les anecdotes historiques qui concernent la masturbation.
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L'article des Desculottées sur les personnes qui n'aiment pas utiliser les sextoys.
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L'épisode 2 de Clit Revolution (Elvire Duvelle-Charles et Sarah Constantin) sur le porno féministe et l'audio porn, et puis l'épisode 3 "Et toi tu te touches?".
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"Un podcast à soi" (Arte radio) de Charlotte Bienaimé sur la Sexualité des femmes dont un long passage évoque la masturbation.
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* Voir notamment : Gardey Delphine, 2019, Politique du clitoris, Textuel.